Lorsqu’on me demande ce que je fais dans la vie, je réponds souvent que je fais du « coaching et de la facilitation ». Et pour éviter les confusions classiques (où j’oscille dans la tête de mon interlocuteur entre coach sportif et consultant-marabout), j’ai pris l’habitude de définir sincèrement et en une phrase mon activité :
« J’aide des personnes et des équipes à trouver les solutions à leurs problèmes en leur posant des questions »
Résoudre des problèmes en posant des questions plutôt qu’en donnant des conseils/réponses ? Vraiment ?
Oui vraiment : que des questions. Pas de conseils ni de réponses ! Et en plus, ça peut étonner, mais il n’est pas non plus nécessaire d’être un expert dans la thématique abordée pour questionner et guider des groupes à trouver des idées qui marchent !
Comment faire pour stimuler ainsi l’intelligence collective ? Je vous révèle un secret : il va falloir faire plus que distribuer des post-its en donnant une consigne ! C’est pourquoi je vous propose dans cet article de présenter les tâches « invisibles » que pratique un facilitateur pour accompagner efficacement un collectif. Nous verrons ensuite comment vous aussi vous pouvez adopter une posture de facilitateur dans vos réflexions du quotidien afin de les rendre plus efficaces et fluides…
Les coulisses de la Facilitation de groupe…
Commençons par un peu de théorie en répondant à la question…
Agir à un autre niveau pour autonomiser
Vous l’avez compris, le facilitateur ne participe pas à la construction du résultat au même titre que les participants. Il est là pour indiquer la meilleure trajectoire à suivre pour réussir, mais pas pour réaliser le travail à leur place ! Je souligne cet aspect primordial du métier car il est souvent ignoré. Des animateurs se retrouvent alors à souffler les réponses au groupe, à s’investir sur les actions qui ne trouvent pas de porteurs, et à faire tout le travail de suivi à la place des acteurs en charge.
Cette posture d’animateur-acteur qui prend par la main a ses vertus (notamment l’efficacité apparente de la séance) mais aussi de beaux inconvénients à moyen et long terme qui naissent en atelier :
- Les participants ne se sentent pas responsables de l’atteinte de l’objectif puisque l’animateur le porte pour eux,
- Ils ne s’investissent pas entièrement dans la réflexion (l’animateur s’en charge),
- À l’issue de la rencontre, les tâches à accomplir n’étant pas le fruit de leur réflexion, ils ne se sentent pas forcément investis de leur réalisation
- Si l’animateur disparaît de la circulation (maladie, changement de poste, fin de mission), l’équipe n’est pas autonome pour continuer le travail
Pour l’anecdote, je me souviens dans mes débuts d’un atelier où j’aidais une équipe à définir sa vision et dans lequel je courrais à gauche à droite pour remplir les post-its, les coller au bon endroit sur le mur, analyser et corriger les raisonnements… Je donnais ainsi aux membres de l’équipe la douce impression d’être inutiles et l’envie d’aller prendre un café en me laissant gesticuler à leur place !
J’ai depuis complètement acquis la posture de facilitateur/coach qui laisse la main, ce qui amène des résultats très différents :
- En laissant les participants définir « seuls » leur façon de répondre au sujet, ces derniers sont :
- soit immédiatement embarqués dans la réalisation de l’objectif,
- soit figés dans un état d’immobilisme qui nécessite alors de clarifier/repartager le but (ce qui est donc bénéfique car se lancer dans un sujet incompris est une manière sûre d’échouer !)
- En laissant les participants trouver, challenger et projeter leurs propres idées, ils se connectent intellectuellement et émotionnellement à l’objectif
- Les actions qui émergent de cette approche sont alors claires et pertinentes à leurs yeux et ont plus de chance d’être concrétisées
- Lorsque le facilitateur termine l’atelier, chacun des acteurs sait ce qu’il a à faire et le processus suit son cours
Notez que dans cette 2e approche, rien n’empêche au facilitateur de donner des exemples inspirants au groupe pour ouvrir le champ des possibles. Il a également le droit – et le devoir – de challenger les idées qui émergent pour les améliorer, ou encore mieux : de pousser les participants à se challenger eux-mêmes. Le tout est de ne pas se substituer à l’intelligence du groupe si on souhaite à terme développer son autonomie.
Comment ne pas contribuer au contenu ?
S’il ne s’implique pas sur le contenu, le facilitateur a d’autres stratégies pour guider le groupe.
Miser sur les conditions pour réussir
Citons ici le 15ème des 36 stratagèmes :
Un groupe a plus de chance de parvenir aux résultats qu’il souhaite s’il a pour cela les bonnes conditions pour réussir !
Créer les conditions de la participation
Le processus créé en amont par le facilitateur se doit d’être progressif et d’inclure les participants dès le démarrage de l’atelier.
On utilise souvent pour cela un petit exercice d’entrée en matière qui « brise la glace » et qu’on appelle d’ailleurs « Ice Breaker ». Il en existe une infinité sous plusieurs formes. Leur objectif est de permettre aux participants de rentrer dans l’atelier en douceur ou de manière énergique, mais surtout de donner à chacun la parole pour initier le mode de fonctionnement collaboratif. En guise de comparaison, la classique « ouverture par un long discours du grand chef » n’offre pas les mêmes bénéfices : Elle ne crée au mieux qu’une émulation individuelle et au pire un profond désintérêt collectif !
Quel Ice Breaker proposer alors ? Le plus simple et évident à mener s’appelle le tour de table des attentes. Il consiste à demander à chaque personne de donner une réponse à la question « Tu seras content s’il se passe quoi dans cet atelier ? ».
« L’environnement est plus fort que la volonté »
L’environnement et le matériel de travail adéquat sont également primordiaux. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que je retire les tables et dispose les chaises en cercle dans mes ateliers. En effet, les tables constituent une barrière à la communication derrière laquelle on se retranche et sur lesquelles on pose les dispositifs de déconcentration les plus puissants au monde : l’ordinateur et le téléphone portable.
Retirez-les tables, les ordinateurs et les smartphones et faites en sorte que tous les participants se voient et vous règlerez 50 % des problèmes de vos réflexions collectives.
De la même manière, en expliquant et affichant clairement les règles de votre atelier (notamment en ce qui concerne la répartition de la parole et l’usage du fameux ordinateur) et en demandant à chacun s’il est d’accord pour les respecter, vous créez les conditions d’un échange constructif et efficace.
Devenir invisible pour engager les participants
Enfin, pour laisser le plus de place possible aux acteurs du groupe, il faut parfois savoir disparaitre à leurs yeux. C’est particulièrement utile quand vous êtes pris à partie et qu’on VOUS explique toute la situation/le contexte/l’avancée d’un projet/etc. alors que cette information s’adresse en réalité aux autres membres du collectif.
Pour cela, j’utilise 3 stratégies :
- Lorsque cela fait sens, j’invite le protagoniste à s’adresser directement aux autres membres du groupe
- Je me déplace et me poste derrière les autres participants pour que la parole se dirige vers eux
- Dans certaines circonstances, je m’exile volontairement à une extrémité de la pièce, voire peux même en sortir : l’effet autonomisant est alors maximal
C’est bien beau, mais moi je dois contribuer au contenu…
À quoi ces éléments peuvent vous servir si votre rôle implique de garder un pied dans le contenu ? C’est ce que je propose de voir maintenant ensemble.
3 clés pour adapter votre posture et faciliter vos activités de groupe
Il n’est pas possible de changer du tout au tout sa façon d’interagir avec un groupe. C’est d’ailleurs pour cela que le métier de facilitateur existe (et qu’il peut être judicieux d’y faire appel !). Voici néanmoins 3 clés qui peuvent vous permettre de faciliter les réflexions que vous menez en collectif, que vous soyez animateur, manager ou bien participant au même titre que les autres.
Rendre explicites les questions implicites
Vous connaissez ces réunions qui commencent sur un sujet, puis glissent sur un autre, puis encore un autre… et qui en 10 minutes finissent par se perdre dans une multitude de détails qui n’ont rien à voir avec l’intention initiale…
Vous pouvez contrer cet effet de déperdition en posant régulièrement (et surtout en début d’atelier) la question :
« Quelle est la question à laquelle nous essayons de répondre ? »
Tant que cette question n’est pas claire, le seul sujet de discussion devrait être de la définir. Une fois ce point effectué, n’hésitez pas à l’inscrire en grand sur un paperboard ou tableau blanc. Lorsque la réunion déviera du sujet, vous pourrez alors vous y référer pour constater votre escapade…
Astuce n°1 : En guise de compte-rendu, vous êtes plus « Document Word propre et rigoureux » que « Photo du paperboard raturé de fin d’atelier » ? Voici un moyen de concilier ordinateur + compte-rendu + affichage des questions : Autorisez UNE personne à utiliser son ordinateur pour prendre des notes sur votre réunion. Demandez-lui alors de projeter ce compte-rendu en cours de construction aux yeux de tous et d’y inscrire au fur et à mesure de l’avancement les questions et décisions importantes. Efficacité garantie !
Astuce n°2 : Si vous n’avez pas le choix et DEVEZ faire vos réunions avec des personnes à distance – vous savez, avec cet outil horrible qui s’appelle la « conf-call » et qui vient mettre à mal toute la dynamique de groupe que vous souhaitez créer – initiez alors un Google Doc partagé (ou autre page de texte éditable en temps réél à plusieurs). Demandez aux participants d’y contribuer pour faire émerger les questions et réponses de l’échange. L’effet est moins garanti qu’en présentiel, mais au moins, vous offrez de meilleures conditions à la co-construction !
Transformer les décisions floues en actions précises
« Bon, on est d’accord ? Bah on fait comme ça ! »
Quel est le meilleur moyen de mettre à la poubelle une belle réflexion bien menée ? Ne pas définir d’actions précises en fin d’atelier !
Là aussi, vous pouvez agir en aidant le groupe à définir le sacro-saint post-it d’action :
- Quoi : Qu’est-ce qui doit être fait ici ?
- Qui : Qui est LA personne qui va se charger de mener l’action à terme ?
- Quand : Pour quand est-ce dû ?
Pourquoi un « LA personne » en gras ? Parce que si vous laissez à un groupe la responsabilité de mener une action, il est probable qu’une fois sorti, chacun se mette à attendre qu’une bonne âme fasse le premier pas et lance le mouvement. Résultat : personne ne se sent investi de l’avancement de l’action et celle-ci reste dans le même état semaine après semaine.
Définissez donc toujours UN acteur qui se chargera de faire avancer la tâche (quitte à ce que son action consiste à solliciter les bons acteurs pour la réaliser).
Sortir des cercles de « blabla » en positionnant les différents acteurs
Vous avez des désaccords quant à l’action/la décision à prendre ? Voici un outil qui vous permettra de clarifier la position de chacun et de prendre efficacement une décision.
Cet outil s’appelle le « Decider » (à prononcer avec un accent américain « dissaïdeur »). Il consiste à cesser les débats en prenant le pouls du groupe quant à la décision à prendre :
- Énoncez la proposition de décision/action (ex : « Sommes-nous d’accord pour dire que Momo fera tous les compte-rendus des 10 ans à venir ? »)
- Chacun donne en silence son avis (avec sa main) par rapport à cette proposition (« À 3 nous votons pour l’adoption de cette décision ! 1… 2… 3… »)
- Demandez alors à chacune des personnes qui s’opposent à la décision d’expliquer ce qu’il leur faudrait pour se ranger à l’avis de la majorité / être à l’aise avec la proposition. (Et ici, Momo peut expliquer qu’il souhaiterait un rôle tournant pour les compte-rendus…).
- Ne surtout pas retomber dans le débat, mais réutiliser le Decider (retour à l’étape 1) pour conclure le sujet !
Avec cette méthode, vous vous rendrez bien souvent compte que les gens sont très rapidement d’accord sur ce qu’il faut faire, mais apprécient tout de même discuter des risques/inconvénients qui pourraient survenir… Culture française oblige !
En conclusion
Vous l’avez vu, être facilitateur et créer les conditions nécessaires à l’intelligence collective, ça n’est pas déposer sur la table 3 post-its et demander aux gens d’avoir des idées ! C’est un véritable métier avec ses règles et savoir-faire qui apportent un véritable plus aux groupes qui en bénéficient. À vous maintenant de faciliter vos contextes pour de meilleurs résultats :
- Préparez vos interventions et créez l’environnement idéal pour les réussir
- Fixez-vous des règles pour bien s’écouter/échanger/décider
- Posez des questions ouvertes et demandez au groupe d’y répondre
PS : Si vous avez besoin d’aide pour concevoir et animer un séminaire/atelier ambitieux, n’hésitez pas à vous faire accompagner !
Bonus abonné : Checklist des tâches à réaliser avant et pendant une facilitation
Afin de garder en tête les différentes activités présentées dans la sketchnote en début d’article, je propose à tous mes abonnés la Checklist des tâches à faire avant/pendant une intervention de facilitation.
Pour la recevoir (et vous abonner si ce n’est pas encore le cas), passez à l’action ci-dessous !