Techniques de manipulation : comment les éviter… voire même les utiliser de manière éthique !(?)

Techniques de manipulation : comment les détecter, les éviter, voire même les utiliser de manière éthique ! ?

Techniques de manipulation : comment les éviter… voire même les utiliser de manière éthique !(?)

La manipulation est une pratique courante dont nous sommes tous victimes… et également fervents utilisateurs, que nous en soyons conscients ou non !

Il y a plusieurs années, un livre particulièrement intéressant m’est passé entre les mains à ce sujet : le Petit traité de la manipulation à l’usage des honnêtes gens de Beauvois et Joule (sociologues très connus dans le domaine).

Ce livre m’a fait découvrir les principales méthodes de manipulation ainsi que la théorie de l’engagement sur laquelle repose toutes ces techniques.

Cette lecture a radicalement changé ma façon d’appréhender un certain nombre de situations personnelles et professionnelles ! Et dans cet article, je vous propose de vous partager les clés à connaitre sur le sujet, et même voir s’il est possible de les utiliser de manière éthique pour accompagner une/des personnes !


 

Comment fonctionne la manipulation ?

Base fondamentale : la Théorie de l’Engagement

La théorie de l’engagement constitue les fondations des techniques de manipulation dont nous allons discuter dans cet article.

Elle peut se résumer dans la phrase suivante :

Ce qui nous force à agir dans la vie, ce ne sont pas nos idées ou sentiments. Ce qui nous force à agir, c'est avant tout les actions que nous avons DÉJÀ menées par le passé ! #Manipulation Cliquez pour tweeter

Ainsi, que ça soit vous, moi ou n’importe quel autre être humain, nous sommes « engagés » par nos actes passés, et avons tendance à persévérer par logique dans les voies que nous avons choisies, même si celles-ci viennent ensuite à s’opposer à nos croyances / valeurs et devenir illogiques !

Pour prendre une image, si face à 2 choix, votre cerveau décide d’agir dans une direction précise, il se retrouve alors « engagé dans un toboggan d’actions » successives dans cette direction et aura beaucoup de mal changer de voie. De ce fait, on appelle aussi « effet de gel » cette adhérence au comportement…

Techniques de manipulation : comment les éviter… voire même les utiliser de manière éthique !(?)

Nous sommes nos 1ères victimes en manipulation !

Connaissant cette théorie, vous comprendrez aisément pourquoi, lorsque nous investissons du temps, de l’énergie ou de l’argent dans un projet, il devient difficile, voire impossible de l’arrêter :

  • Exemple n°1 : Vous achetez une place de cinéma, mais vous rendez très vite compte que le film est nul… Vous refusez alors de quitter la salle (« J’ai payé pour tout voir, je reste jusqu’à la fin ».)
    ➜ C’est le phénomène de dépense gâchée : que vous quittiez ou non le cinéma, l’argent est perdu, mais il est difficile de changer de direction, et c’est pareil pour toute autre décision pécuniaire !

  • Exemple n°2 : Vous essayez d’améliorer votre anglais pour pouvoir accompagner des clients à l’international, mais prof après prof, formation après formation, les résultats ne viennent pas et vous vous obstinez… (« J’ai déjà investi 6 mois et plus de 2000€ dans ce projet… Il faut que ça paye ! »)
    ➜ C’est le phénomène de piège abscons : si vous ne vous fixez pas de limite (de temps, d’énergie, d’argent), plus vous avancez et vous engagez, plus le deuil / l’abandon sera difficile, et plus lourd sera le bilan !

Moralité : celles et ceux qui changent de voie dans leur vie sont des maîtres pour déjouer leur propre auto-manipulation !

Ceci étant dit, revenons-en à la manipulation classique et voyons maintenant :

Comment « engager une personne » à répondre favorablement à nos demandes ?

Toute la stratégie de manipulation de Beauvois et Joule se focalise sur la mise en action de la personne à manipuler, et nous pouvons alors simplifier le processus en 2 temps :

  1. Initialisation de l’engagement : Il s’agit de créer les conditions qui vont engager la personne dans une direction précise (= la pousser dans notre toboggan).
    (Exemple : Pour qu’une assistante de direction nous laisse utiliser une salle normalement réservée au comité de direction, nous pouvons commencer par lui demander l’heure ou tout autre renseignement qu’elle ne pourra pas nous refuser afin d’initier le comportement d’être serviable à notre égard…)
  2. Demande effective : … et une fois l’engagement initial créé (= rendre service), nous pouvons alors augmenter le niveau de nos requêtes jusqu’à arriver finalement à notre demande finale (nous permettre d’utiliser cette salle vide dont personne n’a justement besoin cet après-midi…).

L’exemple ci-dessus peut paraître incongru, mais c’est pourtant bien le mécanisme à l’oeuvre (et qui fonctionne) dans toutes les techniques de manipulation qu’ont testé et documenté nos 2 sociologues et que je vais vous exposer maintenant…

 

Top 3 des techniques de manipulation

🪝
Technique de
l’Amorçage

« Serais-tu d’accord pour payer à mon équipe une super formation, mais qui a lieu à l’autre bout de la France et qui nécessite transport + logement… ? »

Lorsque nous prenons une décision, nous le faisons la plupart du temps en évaluant toutes les composantes de la demande qui nous est faite.
Si ces composantes nous semblent toutes bonnes, alors nous acceptons, sinon nous refusons.

L’amorçage, également appelé technique du leurre, consiste à tromper cette évaluation, et ce, en 2 temps :

  1. Présenter tout d’abord une composante attrayante puis demander immédiatement un choix.
    Exemple d’un manager à sa supérieure : « Pour développer les compétences de mon équipe, j’ai trouvé une occasion en or : une formation à la Process Communication à moins de 1500€ avec une pointure du domaine le mois prochain ! Est-ce que tu valides ? »
  2. Une fois l’assentiment obtenu, présenter ensuite le reste des conditions (les plus contraignantes).
    Suite de l’exemple : « Super ! Du coup comme la formation est à Strasbourg, il faut que je réserve l’hébergement sur place rapidement (c’est juste une nuit, ça devrait aller) et il va falloir aussi que je gère le transport… ».

Avec cette méthode, notre supérieure se retrouve engagée à financer une formation + un hébergement + un transport coûteux… là où une simple formation « classique » à proximité aurait vraisemblablement été tout aussi pertinente…

🦶
Technique du
« Pied-dans-la-porte »

Très répandue, cette technique se base directement sur l’engagement et suppose que pour obtenir un comportement coûteux (au hasard, obtenir 10 billets de train en 1ère classe pour Strasbourg), il suffit de :

  1. Faire au moins une demande préparatoire bien plus accessible (placer notre pied dans la porte…)
    Dans l’exemple de notre manager, pour préparer sa supérieure à accepter une grosse dépense, il pourrait dans un premier temps demander l’autorisation de commander de nouveaux feutres et tampons pour les tableaux blancs de l’Open Space (50 € = dépense négligeable), puis après quelques jours financer un after-work pour son équipe dans un bar (250€ = montant plus élevé)…
  2. Puis ensuite tenter la demande coûteuse (…et ainsi ouvrir la porte) :
    « Au fait ! Pour notre formation à Strasbourg, j’ai besoin de valider avec toi le déplacement en train… J’ai pensé à prendre la 1ère classe pour qu’on puisse travailler pendant le voyage. Ça revient à 170€ par personne… »
    Dans cette situation, la magie de l’engagement aura fait son oeuvre auprès de notre supérieure et assurera un plus grand taux de réussite.

Notes :

  • La durée séparant les demandes ne doit pas être trop longue (de l’ordre d’une semaine au plus) pour que la technique reste efficace.
  • Une version dite « avec demande implicite » existe. Dans ce cas, la manager est si bien préparée à la demande qu’elle propose d’elle-même de choisir la 1ère classe pour le trajet, et ce alors que vous avez à peine prononcé le mot « train » ! Félicitations !

🚪
Technique de la
« Porte-au-nez »

Si le fait de monter en crescendo dans ses requêtes semble logique et donne des résultats, l’opposé n’est pas forcément moins efficace !
Si nous reprenons ce même objectif d’obtenir le paiement de la 1ère classe en TGV, la porte-au-nez consiste à :

  1. Faire une demande exhorbitante que la personne ne peut que refuser (en nous claquant la porte au nez).
    « Pour la formation à Strasbourg, j’avais pensé prendre l’avion avec l’équipe ! Ça permet d’y arriver en 1h, mais ça ajoute 3000€ de budget ».
  2. Ensuite, faire une demande subsidiaire plus accessible (qui réouvrira alors la porte).
    « Bon, puisque l’avion est trop cher, on peut aussi y aller en TGV. En 1ère classe, on pourra même travailler pendant le trajet… ».
    Devant cette proposition plus raisonnable, la probabilité que notre supérieure accepte de payer la 1ère classe se voit largement augmentée par rapport à une demande directe.

Note :

Cette méthode est déconcertante car elle s’oppose à la théorie de l’engagement.
En effet, la manager refuse factuellement la première proposition. Elle devrait alors être dans une logique de non-coopération dans le reste de l’échange.

Néanmoins, les résultats très probants de cette méthode s’expliquent par le concept social de compromis :
Comme notre demandeur effectue un compromis en abandonnant sa requête initiale, son interlocutrice se sent alors obligée elle aussi à faire un pas en avant, et ainsi accepter la véritable demande.

 

Autres techniques de manipulation pour aller plus loin et maximiser l’engagement

Si vous voulez aider une personne à s’engager dans une voie, la stratégie consiste à l’accompagner subtilement à « descendre dans son toboggan ». Et pour ça, Beauvois et Joule ont réalisé énormément d’expériences…

🎁 Le cadeau / la gratuité

En phase 1 (initiation de l’engagement), offrez un cadeau en précisant qu’il est "gratuit" (ce qui incite à l’accepter), vous activerez une réciprocité qui pourra jouer en votre faveur dans la suite de vos demandes.

C’est le principe même des goodies (stylos, bloc-notes et autres portes-clés) que les entreprises vous offrent pour « marquer le coup »… Le but étant évidemment non pas de vous permettre d’écrire mieux, mais bien de signer des contrats avec vous à l’avenir !

💝 Le bonus

Dans le même registre, lorsque vous sentez que votre interlocuteur-rice est prête à accepter votre requête finale, vous pouvez l’aider à franchir le cap en ajoutant un cadeau bonus / service / supplément offert à votre offre, ce qui renforcera l’impression de « faire une bonne affaire » avec vous.

Ex : « Et en plus, si vous payez la prestation dans les 24h, je vous offre une remise spéciale de 10 %… »

🏷 L’étiquetage

Autre technique simple : mettez en avant une qualité en rapport avec votre demande chez votre interlocuteur juste avant de lui faire votre requête.

Ex : « Tu es notre meilleur expert pour réaliser cette tâche [particulièrement ingrate] , je te fais entièrement confiance pour la mener à bien ! »

Notes :

  • Si vous êtes sincère dans votre compliment, l’augmentation de l’engagement est assurée (et c’est généralement ce qu’on réalise lorsqu’on offre un feedback boostant à un(e) collaborateur-rice) !
  • Vous pouvez utiliser cette technique, sans faire de requête et juste en partageant le compliment. L’engagement ainsi créé ou renforcé pourra amener la personne à agir d’elle-même pour se conformer à l’étiquette que vous lui donnez.

💬 Le « Pied-dans-la-bouche »

(Ne me demandez pas pourquoi cette technique s’appelle ainsi 😅 )

Toujours dans la même optique, commencez votre interaction par un « Bonjour, comment allez-vous ? » ou toute autre formule de politesse à l’égard de votre interlocuteur-rice.

Cet intérêt que vous lui portez favorisera alors son accès à vos demandes suivantes, et ce, quelle que soit sa réponse à la question « Comment allez-vous ? ».

(À ce propos, si jamais on vous répondait très originalement « Je vais bien, merci », n’hésitez pas à le souligner de manière souriante – « Ahh ! C’est une bonne nouvelle ! » – avant de faire votre requête)

🕊 La liberté

Pour donner un coup de pouce à votre requête finale, faire en sorte que votre interlocuteur se sente complètement libre de son choix est un facteur très engageant !

Pour ça, affirmez qu’il est totalement libre d’accéder ou non à la requête que vous lui faites.

Ex : « Si c’est pas possible pour toi, tu es vraiment libre de me dire oui ou non hein… »

Se sentir libre de pouvoir dire « non » augmentera alors paradoxalement la probabilité de dire « oui » !

A contrario, forcer une personne à accéder à votre requête par la menace ou la pression est un facteur désengageant qui ne fera que l’inviter à se méfier de vous / s’opposer à vos futures requêtes. (Managers de l’ancien monde, vous voilà prévenus…)

💰 La récompense

Promettez une (petite) récompense contre l’action que vous demandez est également incitateur à l’accepter.

Ex. : « Si vous m’ouvrez la salle, je vous ramène un café »

Note : Attention néanmoins à ne pas promettre une récompense trop importante (ex : « Je vous invite au restaurant ») ce qui éveillerait des soupçons ou mettrait mal à l’aise la personne.

👇 Le toucher

Fait étonnant mais bien connu des séducteurs-rices : Un simple contact physique pendant une seconde sur l’avant-bras augmente l’impact de n’importe quelle demande !

Attention néanmoins :

  • Pour rester efficace, ce contact doit rester bref.
  • La zone de contact apportant ce bénéfice n’est pas limitée à l’avant-bras, mais par précaution, évitez bien entendu d’effleurer les parties du corps considérées comme « intimes » : visage, tronc ou jambes.

🤏 Le « Un peu, c’est mieux que rien »

Cette dernière technique est un « must-have » pour inciter une personne à s’investir plus généreusement dans un don, une activité.
Il suffit pour ça de signifier qu’un petit geste sera toujours mieux que rien !

Ex :

  • Pour inciter une personne à participer généreusement à une collecte pour une cause humanitaire, dites-lui que « Quelques centimes, c’est déjà un don ! »
  • Pour entrainer votre coaché à passer à l’action, glissez-lui que « La plus petite action que vous pourrez mettre en place sera déjà un grand pas vers la solution ! »

Vous retrouvez alors ici l’approche si efficace des « petits pas » en accompagnement au changement… qui invite toujours à aller plus loin !

 

Doit-on diaboliser ces techniques… ou les utiliser ?

Chasse aux sorcières

Peut-être avez-vous reconnu dans les techniques précédentes le comportement d’une de vos connaissances, d’un client ou d’un membre de votre famille.

Faut-il pour autant le/la blâmer ?

La réalité, c’est que nous utilisons TOUS ces techniques sans forcément nous en rendre compte et en toute innocence… et qu’il est plus facile de les détecter chez les autres que dans son propre discours !
(Il suffit de faire lire cet article à vos proches et de leur demander s’ils vous ont déjà entendu utiliser ce genre d’approches pour en avoir le coeur net !).

Alors à la question « Les techniques de manipulation sont-elles mauvaises ? », je réponds :

La manipulation n’est pas « éthique » ou « non éthique »

Se demander si la #manipulation doit être bannie de notre société revient à se demander si les couteaux doivent être bannis de nos cuisines ! Cliquez pour tweeter

En effet, le couteau, tout comme la manipulation, est un outil (qui existe que vous le souhaitiez ou non) et qui peut être utilisé :

  • positivement : pour préparer un repas, couper des légumes, réaliser une sculpture…
  • ou négativement : pour menacer quelqu’un, le blesser… ou pire !

La véritable question ici devient alors : « Quelle est votre intention lorsque vous utilisez ces outils ? ».

La manipulation est un outil d’influence, pour le meilleur ou pour le pire !

Si votre intention vise à :

  • conditionner vos interlocuteurs afin qu’ils exécutent des tâches qu’ils n’auraient pas choisies naturellement
  • provoquer chez ces personnes des impacts négatifs (perte d’argent, de temps, de confiance, de bien-être…),
  • ou ne viser que votre seul intérêt,

…alors c’est probablement un usage néfaste de ces outils d’influence.
 

Si au contraire, vous utilisez ces outils de manière à aider les personnes à déployer un potentiel pour :

  • dépasser une croyance limitante (en créant un nouveau « toboggan positif » à emprunter),
  • aider à bénéficier le plus possible d’une formation (en maximisant l’engagement des participants à chaque étape),
  • protéger de pratiques malsaines / engager à de nouvelles actions (combattre les trafics de drogues, le réchauffement climatique, etc.)

…alors c’est probablement un usage bénéfique de ces mêmes outils.

Libre alors ici à chacun de décider du bienfondé d’utiliser en toute honnêteté la « manipulation bénéfique à autrui » !

 

Pour conclure : protégez-vous et agissez pour le bénéfice du plus grand nombre !

Vous êtes désormais armé(e) pour débusquer les pièges les plus connus pouvant déjouer votre liberté de décision.

Lorsque vous rencontrerez à nouveau ces techniques prochainement, voici 3 derniers conseils :

  • Prenez le temps de la réflexion.
    On vous demande une réponse immédiate ? Donnez la date à laquelle vous répondrez à la demande, expliquez que vous ne souhaitez pas prendre de décision sans en discuter avec un collègue, votre conjoint(e), etc. et décidez à tête reposée !
  • Faites-preuve d’esprit critique.
    Posez-vous la question « Aurais-je fait ce choix il y a 2 jours ? Le ferais-je aussi dans 10 ans ? » Analysez alors les zones d’ombre qui pourraient alors apparaitre
  • Agissez en connaissance de cause.
    Renseignez-vous sur toutes les conditions avant de vous engager. Et une fois engagé(e), gardez en tête que vous avez le droit de changer d’avis !

Sur ce, n’oubliez pas que « vous êtes totalement libre de » faire usage ou non des techniques présentées, la décision n’appartient qu’à vous !
Par contre, plus question désormais de jouer les innocent(e)s, vous savez maintenant ce que vous faites 😉

 


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